Douleurs thoraciques et dorsales chez un diabétique porteur d’une plaie infectée de la jambe

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Douleurs thoraciques et dorsales chez un diabétique porteur d’une plaie infectée de la jambe

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  • Un patient âgé décrit des douleurs thoraciques et dorsales lors d’une consultation médicale - La Prévention Médicale

Les diagnostics complexes sont souvent difficiles à poser, et les conséquences d’un retard de prise en charge peuvent être sévères. Dans ce cas clinique, on notera l’importance d’une coordination précise du parcours de soins en médecine de ville et le recours à l’avis d’un infectiologue, qui aurait pu permettre d’éviter une prise en charge hospitalière et de longs soins de rééducation.

Auteur : le Dr Christian Sicot - Président d'honneur de la Prévention Médicale - Ancien chef de service de Réanimation et de Médecine d'Urgences / MAJ : 29/08/2025

Cas clinique

J1 dans la nuit, un patient aux antécédents d’obésité morbide (IMC à 42), d'hypertension artérielle traitée et de diabète non-insulinodépendant (depuis 10 ans), est amené aux urgences d’un centre hospitalier par les pompiers pour une douleur thoracique de repos, d'apparition brutale, survenue la veille au matin à 9h, et depuis oscillante, rétrosternale gauche sans irradiation, non reproduite à la palpation, non modifiée par la respiration et augmentée à l'antéflexion. La recrudescence de la douleur dans la nuit a justifié un appel au 15.

Examen clinique et paraclinique chez ce patient conscient, orienté et peu douloureux objective :

  • Hypertension stade 3.
  • Patient eupnéique.
  • Pas de déficit sensitivomoteur, pas d'atteinte des paires crâniennes.
  • Lésions dermatologiques érythémateuses finement desquamantes prédominant sur la face antérieure de l’abdomen et la face antérieure des cuisses, circulaires, légèrement prurigineuses avec une plaie ulcérante tibiale gauche.

Au total : 

  • Patient diabétique en rupture de suivi avec une douleur thoracique atypique ayant disparu à J1.
  • ECG normal, troponine et D-Dimères normaux.
  • Lésions dermatologiques érythémateuses finement desquamantes disséminées avec plaie ulcérée tibiale gauche responsable d’un syndrome biologique inflammatoire.

Suivi conseillé :

  • Médecin traitant : rééquilibrage du diabète.
  • Cardiologue : prise en charge HTA.
  • Dermatologue : pour cicatrisation de la plaie ulcérante tibiale.
     

Sortie des urgences et retour à domicile.

De J6 à J45 : consultation à 5 reprises par le patient de son médecin traitant…

  • Bilan biologique qui objective un syndrome infectieux et une hyperglycémie.
  • Prélèvements de la peau retrouve un Staphylococcus aureus meti-sensible et un Streptococcus agalactiae.
  • Prescription cotrimoxazole et érythromycine pendant 7 jours, ainsi qu’un antihistaminique antiprurigineux.
  • Séances d’ostéopathie réputées efficaces pour des douleurs thoraciques.
  • Description d’une amélioration des douleurs sous antibiotiques.


J50 : des violentes dorsalgies réveillent le patient qui consulte aux urgences du CHU.

  • Cliniquement : apyrexie, hémodynamique conservée, l'examen neurologique est sans particularité, pas de souffle cardiaque, pas de syndrome lésionnel, pas de syndrome sous lésionnel, force motrice normale aux membres inférieurs, rotuliens présents mais faibles, achilléens non retrouvés, pas de trouble sphinctérien, pas de Babinski, pas de trouble de sensibilité.
  • Biologie : syndrome inflammatoire et légère hyperleucocytose.
  • Scanner thoraco-abdomino-pelvien : lyse osseuse vertébrale de T4-T5 centrée sur le disque intervertébral avec importante infiltration des parties molles antérieures médiastinales et épidurales avec rétrécissement canalaire. Spondylodiscite T4-T5.
     

J50 à J55 : hospitalisation en médecine interne du CHU.

J50 : le patient est transféré dans le service de médecine interne.

J52 : IRM rachidienne : spondylodiscite D4-D5 avec rétrécissement canalaire significatif et suffusion des parties molles antérieures sans abcès ni collection visualisée. 

Avis infectiologue demandé : "(…) épidurite circonférentielle, sans signe de souffrance médullaire. Pas d'indication chirurgicale du rachis dans l'immédiat devant un examen clinique neurologique normal et l'absence de signe de souffrance médullaire (…)".

J53 : avis orthopédiste du rachis. Après staff du dossier en service de neurochirurgie : "(…) indication théorique formelle à une chirurgie de stabilisation vertébrale en raison des destructions majeures des corps vertébraux et risque de cyphose secondaire, mais sans urgence. Néanmoins à faire AVANT 4-6 semaines, avant un début de déformation ou de consolidation. Pas d'indication à une laminectomie en urgence en l'absence de nouveaux signes cliniques (…)".

J53 : biopsie disco-vertébrale : "3 prélèvements positifs à Staphylocoque aureus méti-S. Deux hémocultures positives le soir de la biopsie à staphylocoque. Quatre Hémocultures sont négatives".
Porte d'entrée cutanée : ulcération face antérieure de jambe nécessitant des soins locaux et multiples furoncles".

Dans la nuit de J54 à J55 : "Survenue de douleurs dorsales à type de décharge électrique extrêmement intenses, faisant suite à la biopsie disco-vertébrale".

J55 vers 11h : apparition de paresthésie de la face antérieure de l'abdomen et de la face antérieure des deux cuisses, sans déficit moteur retrouvé, le réflexe rotulien droit est plus présent qu’auparavant, le rotulien gauche est inchangé, faible, et les réflexes achilléens ne sont pas retrouvés. Absence de Babinski. 

IRM médullaire en urgence devant une suspicion de compression médullaire : "(…) Majoration de l'épidurite, anomalie de signal du cordon médullaire, hypersignal focal T2 étendu sur deux étages soit T3 et T4 et majoration de la compression des parties molles (…)". 

Introduction d’une antibiothérapie et transfert en neurochirurgie afin de réaliser une laminectomie de décompression, en urgence.

De J55 à J60 : hospitalisation en service de neurochirurgie du CHU.

J56 : intervention chirurgicale : "(…) Réduction et ostéosynthèse T1T7, et libération neurologique (…)"
Les prélèvements peropératoires reviendront positifs, à Staphylocoque aureus (5 sur 5).

J60 : examen neurologique objective une légère récupération sensitive.

De J61 à J69 : hospitalisation en service de médecine interne avant transfert en secteur de médecine physique et de réadaptation.

Pendant près de 9 mois : hospitalisations dans divers services de rééducation permettant :

  • d’obtenir une amélioration clinique progressive,
  • le retour à domicile,
  • la poursuite de la rééducation en HAD.
     

12 mois plus tard : fin des auto-sondages.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par le patient.

Expertise

Pour les deux experts (infectiologue et neurochirurgien) :

"(…) Le dommage est dû à une infection disco-vertébrale d’origine communautaire avec un retard de prise en charge diagnostique et thérapeutique. Cette infection a exclusivement participé à la survenue du dommage.

La porte d’entrée est certainement la peau (psoriasis surinfecté et ulcère de jambe) chez un sujet diabétique déséquilibré.

Le germe est un Staphylocoque doré (…). Habituellement ce portage est asymptomatique. Parfois cette bactérie est responsable d’infection osseuse, notamment lors de plaie cutanée. (…).

La date probable de l’infection se situe 3 mois avant l’hospitalisation. (…).

Le diagnostic n’a pas été réalisé avant la prise en charge au CHU. (…).

Cinq consultations avec des séances d’ostéopathie pratiquées par le médecin traitant ont eu lieu sans la réalisation d’examens complémentaires durant 6 semaines chez un sujet diabétique présentant des douleurs thoraciques inexpliquées et un syndrome inflammatoire. Les séances d’ostéopathie étaient inadaptées dans ce contexte. Ceci n’est pas conforme aux règles de l’art. (…)

Le patient est pris en charge au sein du CHU. Un scanner thoraco-abdominal a été réalisé à l’admission et met en évidence une spondylodiscite T4-T5. Une IRM rachidienne est réalisée (…) et met en évidence une épidurite circonférentielle refoulant la moelle épinière. L’indication opératoire n’a pas été retenue. Un déficit sensitif et moteur des membres inférieurs s’est installé dans la nuit (…). Une nouvelle IRM est réalisée et met en évidence une compression médullaire. Le patient a été transféré dans le service de Neurochirurgie du CHU et opéré 24 heures plus tard. Ceci n’est, également, pas conforme aux règles de l’art.

Ces comportements non conformes aux règles de l’art sont partiellement à l’origine du dommage subi par le patient (…) :

  • 15% pour la prise en charge préhospitalière du médecin traitant (non-diagnostic), 
  • 10% pour la prise en charge hospitalière (retard au traitement de la complication (CHU))."

Avis CCI

La Commission : "(…) considère que l’indemnisation des préjudices subis par le patient incombe au médecin traitant à hauteur de 15% et au CHU à hauteur de 10%".

Commentaires

Dans une étude rétrospective portant sur 7 cas de spondylodiscite à pyogènes chez des diabétiques, observés dans un service de maladies infectieuses entre 2005 et 2014(1), la douleur rachidienne était le symptôme clinique le plus fréquent (71%), suivie par le syndrome infectieux (28%). Un déficit neurologique était noté chez 2 patients (28%). Mais un syndrome inflammatoire biologique était présent dans tous les cas.

Le délai moyen de diagnostic était de 2 mois.

Les germes isolés dans les hémocultures étaient : Staphylococcus aureus (1 cas), Streptococcus agalactiae (1 cas) et Enterococcus fecalis (1 cas).

Sur l’imagerie, il existait une épidurite et/ou une compression médullaire dans 3 cas, et une atteinte des parties molles dans 4 cas.

Une antibiothérapie a été prescrite dans tous les cas pendant une durée moyenne de 4 mois (1 mois - 9 mois).

Hormis un cas de décès précoce lié au terrain, l’évolution a été favorable.

Pour les auteurs, les spondylodiscites à pyogènes chez les diabétiques représentent 15 à 20% des spondylodiscites infectieuses décrites dans la littérature.

Un diabète déséquilibré favorise l’apparition d’infections et ces infections peuvent décompenser le diabète.

La porte d’entrée est essentiellement constituée par des lésions cutanées.

Dans l’observation présentée, il existait, chez le patient, dès le 16/01/2021, lors de la consultation au centre hospitalier, un diabète déséquilibré, une douleur thoracique d’étiologie indéterminée, une lésion cutanée infectée, et un syndrome inflammatoire biologique, soit 4 signes qui auraient pu, dès cette date, faire évoquer le diagnostic de spondylodiscite suivant la publication analysée.

Référence :
(1) Ben Hmida H, et Coll - Service des Maladies Infectieuses, CHU Sfax, Tunisie.
Les spondylodiscites à pyogènes chez le diabétique. 32e congrès de la Société Française d’Endocrinologie (SFE) - Angers - 2015 - P 621

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